Par Jean-Denis Rondeau
Texte publié au sein de la revue Histoire Québec, vol. 24, no 2, 2018, p. 12-14.
Pendant plus de trente ans, le cours d’histoire de Montréal de Paul-André Linteau fut l’un des cours les plus connus et appréciés de l’Université du Québec à Montréal. Le succès de ce cours légendaire reposait sur deux principes centraux : quitter la salle de classe pour aller explorer la ville et s’imprégner de son histoire, et apprendre aux étudiants à travailler comme de vrais historiens. Ces deux ingrédients, une fois mélangés avec la passion contagieuse de M. Linteau pour l’histoire de la métropole, ont marqué plusieurs générations d’étudiants.
Apprendre à lire et écouter Montréal
L’un des éléments les plus marquants et les plus appréciés du cours était sans contredit les fameuses visites sur le terrain. La ville -avec ses bâtiments, ses clôtures, ses rues et ses espaces publics- étant l’objet du cours, M. Linteau jugeait fondamental de voir ces espaces urbains pour se les approprier et comprendre leur histoire. Il quittait donc la salle de classe en compagnie de ses étudiants pour se rendre à différents lieux dans la ville, entre deux et quatre fois par session.

L’un des quartiers incontournables était le Vieux-Montréal, dans l’arrondissement Ville-Marie, où l’on pouvait retracer l’histoire de Montréal, de sa fondation jusqu’à notre époque. La visite de la place d’Armes était particulièrement appréciée par M. Linteau, car chacun de ses côtés raconte une facette de l’histoire de la ville. Le côté sud, où trône la Basilique Notre-Dame, évoque le volet français et catholique. Le côté nord, avec l’édifice de la banque de Montréal, représente l’aspect anglo-écossais, protestant et financier. Le côté est, là où se situe l’édifice New York Life Insurance, témoigne de l’influence américaine, alors que le côté ouest, à l’ombre du 500 Place d’Armes, illustre le Québec contemporain. Une visite dans le Mille carré doré offrait la possibilité de contempler la transformation d’un ancien quartier bourgeois anglophone en un deuxième centre-ville. Un parcours en autobus dans l’est de la ville permettait quant à lui de fouler un sol où avaient été développées diverses banlieues francophones. Les historiens en devenir et leur guide commençaient ce trajet par la ville de Maisonneuve (là où se situe actuellement le marché Maisonneuve), l’ancienne banlieue francophone de la fin du 19e siècle, encore perceptible sous les nouveaux aménagements urbains. Ils se rendaient ensuite à la Cité-jardin du Tricentenaire, construite au début des années 1940, avant d’aller dans le Nouveau Rosemont, banlieue annexée au début du 20e siècle, qui comprenait une immense zone dans l’est qui ne s’est urbanisée que dans l’après-guerre. Le parcours prenait fin à Saint-Léonard, anciennement côte Saint-Michel, une banlieue développée par une coopérative de Canadiens français liés aux milieux syndicaux et catholiques.
Remonter aux sources
Le cours d’histoire de Montréal fut également, pour de nombreux étudiants, un premier contact avec les sources historiques. M. Linteau, plutôt que de demander à ses étudiants de lire et de résumer la pensée d’historiens, préférait leur apprendre à devenir eux-mêmes de vrais historiens en interprétant ces traces du passé. Chaque étudiant devait choisir un segment de rue, par exemple, la rue Saint-Hubert, entre René-Lévesque et Sainte-Catherine, et devait faire une recherche, à l’aide entre autres des annuaires Lovell, afin d’examiner différents phénomènes, comme la mobilité de la population et la composition sociale de ces bouts de rues. Les étudiants pouvaient brosser un portrait des gens qui avaient habité ces rues (leurs métiers, leurs origines) pour découvrir leur transformation au fil du temps.
Ce cours était un plongeon dans la ville et son histoire. Il pouvait faire naître chez les étudiants un amour pour la ville et une passion pour le métier d’historien, les inciter à se réorienter vers l’histoire urbaine et même leur donner le goût de poursuivre leurs études à la maîtrise. « Son cours m’a appris à aimer Montréal. Ça a été mon premier vrai contact avec le métier d’historienne ». C’est la première chose que m’a dite Cassandra Smith, une ancienne étudiante de M. Linteau, lorsque je lui ai demandé de me parler de son expérience avec le cours d’histoire de Montréal. Bref, c’était un cours qui pouvait changer une vie.
Au-delà du cours, une personnalité remarquable
La personnalité du professeur était aussi très appréciée par les étudiants. En effet, M. Linteau ne partageait pas que ses connaissances encyclopédiques, il partageait également sa passion. Son amour pour l’histoire de Montréal était tout simplement contagieux. De plus, malgré sa renommée qui a traversé l’Atlantique, sa grande expertise et le succès retentissant de son cours, M. Linteau est toujours resté très humble. Même dans les années qui précédaient sa retraite, il sollicitait les opinions des étudiants sur son cours et les écoutait avec intérêt. Imaginez un chef d’orchestre de renom qui, lors d’un entracte, consulte des spectateurs pour leur demander si sa prestation est à la hauteur de leurs attentes… L’importance d’être habité par une telle humilité alors que l’on est au sommet a été l’un des apprentissages les plus marquants du cours pour plusieurs étudiants.
M. Linteau est aujourd’hui à la retraite. Lors de sa conférence au Forum d’histoire et de patrimoine de Montréal : découvrir la métropole par ses quartiers, le 27 octobre 2017, il mentionnait que la production de synthèses historiques avait été l’un des plus grands plaisirs de sa carrière. Au cours de l’entrevue qu’il m’a accordée pour cet article, il m’a fait part d’un autre aspect de son métier qu’il avait particulièrement aimé : enseigner et travailler avec les étudiants, année après année. Merci, M. Linteau, d’avoir partagé votre passion avec plusieurs générations.
Le cours d’histoire de Montréal tire ses origines du cours d’histoire urbaine du Québec, mis sur pied au milieu des années 1970 par Paul-André Linteau. À cette époque, l’histoire urbaine était encore un champ en développement au Canada et peu de recherches portaient sur les villes du Québec, exception faite de Montréal. La grande majorité de la matière du cours portait donc sur la métropole, qui faisait déjà l’objet d’un large corpus documentaire. Après avoir enseigné ce cours pendant une dizaine d’années, M. Linteau croyait que le temps était venu d’offrir un cours spécifique sur l’histoire de Montréal, étant donné le déséquilibre du cours d’histoire du Québec. La proposition fut acceptée par le comité du programme d’histoire et, en 1986, M. Linteau donnait le tout premier cours universitaire entièrement consacré à l’histoire de Montréal.
Si le cadre général du cours n’a pas changé de façon significative au fil des années, de nouvelles recherches ont toutefois amené M. Linteau à redéfinir des aspects importants de son message. Par exemple, dans les années 1970, la classe ouvrière montréalaise était perçue comme un groupe exploité, dominé par le capitalisme, vivant constamment sous le seuil de la pauvreté et aucunement maître de son sort. La grande partie de la population de Montréal était donc généralement présentée selon une vision misérabiliste, dans une interprétation victimisante de ses conditions de vie. Au tournant des années 1990, de nouvelles recherches s’intéressaient à la vie ouvrière du point de vue des femmes, à la cellule familiale et aux conditions de logement. Les citoyens du passé étaient dorénavant perçus comme des acteurs sociaux dotés d’une certaine autonomie. Le rôle des femmes était maintenant considéré comme fondamental, car elles parvenaient à vêtir et nourrir la famille avec les moyens dont elles disposaient. Le cours d’histoire de Montréal a aussi connu plusieurs changements apportés par l’évolution des systèmes informatiques. Au moment où M. Linteau donnait son premier cours d’histoire de Montréal, les documents historiques devaient être consultés là où ils étaient conservés. De nos jours, une connexion à internet suffit pour avoir accès à une innombrable quantité de sources. Les avancées dans le monde du numérique ont permis à M. Linteau et ses étudiants de procéder à des traitements de données complexes qui auraient auparavant représenté une charge de travail considérable, en plus d’offrir un éventail de documents et de possibilités inimaginables en 1986.
Jean-Denis Rondeau a obtenu son baccalauréat en enseignement de l’histoire et de la géographie au secondaire en 2017. Il est présentement étudiant à la maîtrise au département d’histoire de l’UQAM. Son mémoire, toujours en rédaction, porte sur la politique étrangère des États-Unis envers le Nicaragua durant la présidence de Jimmy Carter. Il est passionné par l’histoire diplomatique, politique et militaire de l’Antiquité à nos jours.