Par Laura Barreto Palacio, agente de recherche en systèmes d’information géographique-historique
Lors des expropriations du Faubourg à m’lasse (1963) pour la construction de la Maison de Radio-Canada, une série de photographies est commandée par la Ville de Montréal pour répertorier les bâtiments qui allaient être démolis. En juillet 1963, 1516 photographies sont prises incluant des vues extérieures des bâtiments, des arrière-cours, ainsi que des clichés de l’intérieur des différents commerces du secteur. Sur chacune des photographies de la série, des numéros sont indiqués. Les membres du Laboratoire avaient formulé l’hypothèse que cette numérotation avait servi à identifier les bâtiments à démolir, mais, jusqu’à tout récemment, ils n’avaient pas trouvé la documentation pour la confirmer.
Depuis 2013, Michelle Comeau, chercheure au Laboratoire, mène une analyse d’une partie de ce corpus photographique dans le cadre du projet Commerces d’alimentation du Faubourg à m’lasse, 1949-1963. L’un de ses principaux défis est de situer géographiquement les entreprises photographiées en 1963. À l’aide des vues extérieures, des noms des commerces (si visible sur les clichés) et des outils de référence (annuaire municipal Lovell, valeurs locatives de la Ville de Montréal, raisons sociales, plan d’occupation du sol de Montréal de 1949 et plan d’assurance incendie de 1954), elle réussit à localiser la grande majorité d’entre eux.
Durant ses recherches, Mme Comeau reçoit de la part d’Alan Stewart, collaborateur ponctuel du Laboratoire, un plan créé en 1963 par les Travaux publics de la Ville de Montréal dans le cadre des expropriations du quartier. Ce plan, déniché au comptoir de la géomatique du Service des infrastructures, de la voirie et des transports, comporte de nombreuses informations, incluant des adresses des bâtiments, des mesures d’arpentage, et autres codes dont nous ignorions la signification exacte. À première vue, aucune information ne semble apporter d’informations supplémentaires au projet.
En février 2017, nous faisons par hasard une découverte trop belle pour être vraie! En lisant la section des commentaires du reportage sur le Faubourg à m’lasse sur le site Web des Archives de la Ville, nous comprenons enfin la signification des numéros indiqués sur les photos! D’après Martin Royer, coordonnateur et archéologue-historien chez Ethnoscope, cette numérotation correspondrait aux numéros inscrits sur le plan préparé pour l’expropriation par les Travaux publics de la Ville, le même plan que détient Mme Comeau.
À ce moment, notre première réaction est de vérifier l’exactitude de cette information. En effet, les numéros de 1 à 307 figurants sur le plan d’expropriation correspondent exactement à la numérotation indiquée sur les photographies. Grâce à cet outil, Mme Comeau peut valider et compléter son travail de localisation des commerces.
Le plus incroyable est que, sur plusieurs clichés analysés, l’employé de la ville tient dans ses mains ou sous son bras le plan d’expropriation auquel il se réfère pour prendre les photos. Sur quelques images, on peut le voir consulter ce plan pendant que la photo est prise. Il s’en sert même parfois pour cacher son visage du flash de l’appareil photo. Quel plan polyvalent !
À la suite de cette découverte, le plan d’expropriation est envoyé aux Archives de la Ville et la légende est maintenant disponible en ligne. Qui sait, peut-être qu’un jour, quelqu’un géolocalisera l’ensemble des 1516 photos de juillet 1963 pour établir un portrait complet de ce secteur aujourd’hui disparu. Pour l’instant, nous gardons précieusement ce plan comme outil de référence et nous espérons qu’il ne sera plus jamais séparé des photographies qui lui sont associées !