Par Yvon Gagnon, adjoint de recherche pour le projet Le corridor du canal de Lachine : au cœur des échanges et des transports
La recherche historique nous conduit parfois vers des trouvailles inusitées et cocasses. Un volet de ma thèse doctorale s’intéresse à l’industrialisation périurbaine de Montréal au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. Un des principaux acteurs économiques de ce volet concerne l’homme d’affaires John Frothingham (1788-1870) et sa famille. Le commerce de la quincaillerie en gros et la production manufacturière d’articles de ferronnerie assurèrent la prospérité des Frothingham. La famille habite une résidence cossue, Piedmont, sur la rue Durocher aux pieds du Mont-Royal. Elle accueillait le gouverneur général lorsque le parlement siégeait à Montréal. Pendant la période estivale, la famille séjourne à Cacouna, un lieu de villégiature prisé par la haute bourgeoisie de l’époque.
Au cours d’une consultation de la collection photographique Notman du musée McCord dans le but de localiser de la documentation iconographique sur les Frothingham, j’ai fait la connaissance de la mouffette familiale. La collection Notman comprend plusieurs photographies d’animaux familiers, des chiens, quelques chats et des chevaux, mais une mouffette, du jamais vu! Les chercheurs étant ce qu’ils sont, des curieux incorrigibles, me voilà donc lancé sur la piste du sconse.
D’emblée, il s’agissait de déterminer si la bestiole était d’origine rurale ou urbaine, Cacounoise ou Montréalaise. Nous savons que William Notman s’est rendu à Piedmont pour photographier la résidence et le jardin de Madame Frothingham. Notman l’aurait-il croisée dans ces circonstances? Plausible, le parc du Mont-Royal abritait sûrement cette espèce faunique à ce moment. La bête malodorante est de par sa nature sociable et facilement apprivoisable. Est-ce que les Frothingham, au moment de leurs promenades dans le jardin aurait réussi à domestiquer la mouffette? D’un autre côté, nous savons également que Notman a séjourné à Cacouna avec la famille. Nous pouvons émettre comme hypothèse que la bête puante fut apprivoisée lors de la période estivale. Notman pris plusieurs clichés des estivants à ce moment et pourquoi pas celui du mustélidé.
La piste s’est refroidie depuis le moment où la mouffette bourgeoise fut immortalisée pour la postérité et un «aura» de mystère perdure. Cependant, il existe encore une mince possibilité de connaître le fin mot de l’histoire. William Notman était un photographe talentueux, organisé et méticuleux. Il a conçu un système de classement de ses milliers de photographies dans lequel nous retrouvons des informations nominatives comme les noms des personnes photographiées et la date de la prise de vue. Qui sait ce que les archives de la collection Notman du Musée McCord recèlent sur l’insaisissable quadrupède, son nom peut-être?