Les praticiens de l’histoire urbaine utilisent presque systématiquement les journaux des métropoles qu’ils étudient comme sources. Si certains d’entre eux y voient d’une réflexion critique sur ces sources, cette réflexion demeure généralement superficielle, les journaux étant utilisés pour saisir différents aspects de la vie urbaine qui ne sont pas directement liés à la presse. Dans le cadre de ce projet de recherche, qui se situe au carrefour de l’histoire urbaine et de l’histoire culturelle, il s’agira d’analyser plus en profondeur les rôles que joue et la position qu’occupe la presse à grand tirage dans l’écosystème urbain.
Comme sources d’informations sur le passé, les journaux sont omniprésents dans le champ de l’histoire urbaine. Ils sont fréquemment utilisés pour compléter un corpus particulier, ou comme fenêtres à travers lesquelles saisir un objet historique spécifique ou ses représentations. Ils font généralement l’objet d’une analyse critique assez limitées, mettant par exemple en relief la subjectivité propre aux journalistes, ou encore les biais qui résultent des intérêts commerciaux des entreprises que sont d’abord et avant tout ces publications. Pourtant, même s’il existe une vaste historiographie sur la presse et le journalisme en Amérique du Nord, peu d’historiens se sont penchés sur les rapports qui existent entre la presse à grand tirage et le monde urbain dans lequel elle prend forme à la fin du 19e siècle. Les historiens de la ville ont tendance, quant à eux, à surtout voir dans les journaux de simples sources d’information, et non des acteurs à part entière de la société urbaine.
L’objectif général du projet de recherche « Lire la ville à travers ses journaux : Montréal et sa presse à grand tirage (1869-1929) » est de contribuer à combler cette lacune en menant une étude des principaux rôles joués par la presse à grand tirage dans un grand centre métropolitain. Pour y arriver, nous étudierons de plus près le rôle des journaux comme institutions urbaines à part entière (comme entreprises et comme réalités matérielles dans le tissu urbain); comme acteurs dans les grands débats politiques qui agitent la société urbaine; comme vecteur à travers lequel se construisent d’influentes représentations des quartiers de la ville et de ses ambitions métropolitaines; et, enfin, comme source d’informations pratiques pour ce citadin qui souhaite s’y retrouver dans la « jungle urbaine », dans ces métropoles industrielles en transformation qui caractérisent la période étudiée.
Sur le plan historiographique, ce projet s’inscrit dans une évolution encore récente des études se situant à l’intersection de l’histoire de la ville et de la presse en Amérique du Nord, et qui a eu encore assez peu d’échos du côté canadien. Il constituera une contribution significative à l’historiographie québécoise sur le sujet tout en situant le cas montréalais – dans toute son originalité – dans une plus vaste historiographie nord-américaine. Sur le plan social, notre projet de recherche contribuera à une meilleure compréhension de la transformation de la presse montréalaise en média de masse au tournant du 20e siècle et permettra d’offrir une perspective historique approfondie aux nombreux débats actuels qui concernent le rôle de la presse dans la société. S’il y a, d’une part, toute la question de la propriété, de la concentration des médias et de la démocratie, il y a également, d’autre part, les complexes questions soulevées par les difficultés économiques que connaissent la plupart des grands quotidiens montréalais (et nord-américaine). Au cours du 20e siècle, même s’ils sont des entreprises privées, les journaux à grand tirage sont devenus, aux yeux de bien des citadins, de véritables services publics aussi essentiels que l’eau, l’électricité ou le transport en commun. Au 21e siècle, mis à mal par la montée des médias électroniques, les journaux sont l’objet de débats fondamentaux sur la nature de l’information et sur ce caractère essentiel de certains médias. Alors qu’on discute de leur financement (État, philanthropie), il est plus essentiel que jamais de comprendre d’où ils viennent, de comment ils se sont structurés et ont évolués à la fois comme entreprises et comme institutions dans la société métropolitaine (et au-delà). Notre projet permettra de bien documenter ces questions durant une période clé de l’histoire de Montréal et de sa presse à grand tirage.
Ce projet est financé pour la période 2020-2025 par une subvention Savoir du CRSH.
Réalisations
Communications et conférences
- BÉRUBÉ, Harold, « La presse montréalaise à grand tirage dans les années 1920 : une modernité urbaine assumée », Colloque Les années 1920 au Québec (60e journées d’échanges scientifiques de l’AQÉI), Montréal, 10 mars 2022.
- BÉRUBÉ, Harold, « Lire la ville à travers ses journaux : À la croisée de l’histoire de la presse et de la ville », Midis-conférences du Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec (GRELQ), Sherbrooke, 29 janvier 2021.
- BÉRUBÉ, Harold, « Lire la ville à travers ses journaux : le cas de Montréal et de sa presse à grand tirage (1879-1959) », Journée annuelle du LHPM, Montréal, 24 mai 2019.
Soutien financier
Responsable
- Harold Bérubé, professeur, Département d’histoire, Université de Sherbrooke
Personnel de recherche
- Alexis Boisvert, étudiant, Université de Sherbrooke (2020-2021)
- Henri Dion, étudiant, Université de Sherbrooke (2020-2021)
- Laurie Ricard, étudiante, Université de Sherbrooke (2020-2021)
- Jérémie Rose, étudiant, Université de Sherbrooke (2020-2021)