Participation du Laboratoire au Partenariat international de recherche Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord (1640-1940).

Le Laboratoire est heureux d’annoncer sa participation Partenariat de recherche Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord (1640-1940), dirigé par Yves Frenette, professeur titulaire, Département des sciences humaines et sociales, Université St-Boniface. La contribution du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal (LHPM) et de certains membres prend plusieurs formes : le LHPM est un partenaire du projet, Joanne Burgess, directrice du LHPM, y est associée à titre de cochercheure et Paul-André Linteau, codirecteur du LHPM, y participe à titre de collaborateur. L’équipe du Laboratoire assumera le leadership de l’étude du rôle de Montréal comme plaque tournante migratoire, tant pour les migrations intérieures que les migrations européennes et les mouvements de retour des Franco-américains. C’est à ce titre que le Labo a été le coorganisateur de la journée d’étude du 17 septembre dernier.

Financé par le CRSH, Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord (1640-1940) vise à mettre en lumière la place centrale des migrations francophones dans la genèse et l’évolution des populations nord-américaines sur une période de trois siècles. Il nourrira ainsi les réflexions sur les enjeux contemporains de l’immigration, de la diversité culturelle et du vivre-ensemble. Le projet a pour but d’examiner l’impact des migrations sur l’expérience collective et individuelle des francophones en Amérique du Nord. Pour ce faire, l’équipe, composée de partenaires et de participants, se penche sur les mouvements et processus migratoires des francophones nord-américains, sur les circulations culturelles et linguistiques qui les ont accompagnés et enfin, sur les récits auxquels ils ont donné lieu.

Le projet se déploie en deux grands pôles. Le premier vise l’approfondissement des connaissances sur les migrations, les circulations et les récits de migration. À titre de chercheurs, Joanne Burgess et Paul-André Linteau étudieront le rôle de la ville de Montréal au sein de divers réseaux migratoires francophones ; avec le Laboratoire, ils contribueront également à la coordination de l’ensemble des travaux consacrés à Montréal comme plaque tournante migratoire. Les membres du Partenariat chercheront à comprendre l’importance de la métropole comme destination de nombreux ruraux. Ils se pencheront également sur la place de Montréal au sein de mouvements migratoires internationaux qui se déploient, notamment, à travers la France, la Belgique, le Liban et la Syrie. Enfin, les chercheurs s’intéresseront au rôle de la ville dans les mouvements d’allers et de retours qu’effectuent des francophones entre le Québec et les États-Unis.

Le deuxième pôle du Partenariat Trois siècles de migrations francophones se déploie à travers un éventail d’initiatives de mobilisation des connaissances, parmi lesquelles figure un programme d’expositions, virtuelle et in situ. À titre de partenaire, le rôle du Laboratoire consiste à faciliter la mise en œuvre d’activités de mobilisation et de mise en valeur au sein du réseau montréalais d’organismes et d’institutions clefs dans le milieu de l’histoire et du patrimoine montréalais.

Dans le cadre de ce partenariat international, qui situe la métropole montréalaise comme un espace d’étude privilégié, s’est tenue la journée « Montréal dans le système migratoire francophone », le 17 septembre 2019. Organisée par le Laboratoire, cette rencontre a réuni une trentaine de collaborateurs et collaboratrices de diverses disciplines. Elle avait pour objectif premier d’établir un bilan des connaissances sur la thématique, d’identifier des pistes de réflexion et d’aborder certains enjeux méthodologiques.

Plaque tournante des échanges économiques, Montréal a également joué un rôle important dans le système migratoire atlantique et dans le système migratoire francophone continental, non seulement par son pouvoir d’attraction comme métropole du Québec et de tout le Canada, mais aussi en tant que centre ferroviaire et centre culturel. De tous temps, la population de la ville a aussi des contacts linguistiques avec sa région environnante, avec le reste du Québec et avec la diaspora canadienne-française. Or, si les chercheurs ont étudié, souvent avec brio, divers aspects du passé montréalais, ils se sont peu intéressés aux mouvements et processus migratoires dans lesquels la ville était partie prenante, ainsi qu’aux circulations culturelles et linguistiques afférentes aux migrations.

Il reste que des géographes et des historiens ont effectué quelques percées. Des bilans s’imposent pour faire connaître davantage les travaux de ces précurseurs et pour aller plus loin, notamment en exploitant de nouvelles sources et en utilisant des outils développés dans les deux dernières décennies.

Paul-André Linteau, codirecteur du Laboratoire, a débuté en animant le premier bilan « Montréal plaque tournante migratoire ». Dans le cadre de cette séance, il a proposé un survol des mouvements migratoires francophones en faisant état des connaissances actuelles et celles qui sont à bonifier et à produire dans le cadre du Partenariat.

Tout d’abord, l’historien a souligné l’importance de s’intéresser aux phénomènes migratoires sous toutes leurs formes, et de ne pas se limiter à l’étude des cas d’établissements permanents assurant une descendance. En abordant la période de la Nouvelle-France, l’historien note les travaux pionniers de Mario Boleda, qui confirment qu’au moins 33 000 français se sont embarqués vers la vallée du Saint-Laurent. Le tiers d’entre eux y serait resté en permanence. Ces recherches permettent de décrire un phénomène qui caractérise encore l’immigration française aujourd’hui, soit que plusieurs Français séjournent à Montréal, sans s’y enraciner. Linteau poursuit en ajoutant que dès la fin du 17e siècle, la métropole n’est pas seulement un lieu d’arrivée, mais aussi de départs, lointains et proches. Lointains dans la mesure où Montréal est la plaque tournant d’où partent vers l’Ouest les commerçants, missionnaires et engagés, un phénomène qui se maintient jusqu’au 20e siècle, même s’il déborde le cadre francophone. Les recherches de Louise Dechêne, confirment qu’au 18e siècle, la faiblesse de l’emploi urbain, lié au commerce des fourrures, engendre un mouvement migratoire de francophones vers la campagne environnante.

Paul-André Linteau cite ensuite plusieurs recherches illustrant le mouvement inverse au 19e siècle, soit une migration des francophones des campagnes vers Montréal. Il souligne entre autres les travaux de Jean-Claude Robert qui situe ce mouvement migratoire vers 1840. S’ajoutent ceux de Sherry Olson et d’autres, indiquant qu’au 19e et au début du siècle suivant, la migration francophone provient de la plaine environnante. En faisant une synthèse des connaissances actuelles, Linteau ajoute qu’au cours du 20e siècle, le bassin de recrutement de Montréal s’élargit à l’ensemble du Québec. Il note toutefois que la consolidation des données des premières décennies du 20e siècle est inexistante et que cela mériterait que l’équipe s’y penche. Dans le cas des migrations vers les États-Unis, il reste là aussi plusieurs interrogations quant à la participation des Franco-montréalais dans ce phénomène, et notamment sur l’impact du retour de cette population.

Par la suite, Paul-André Linteau a dressé un portrait de l’immigration française dans la métropole. Il a fait mention de ses travaux, conjointement menés avec Françoise Le Jeune, qui ont permis d’identifier l’établissement d’une véritable communauté française à Montréal à la veille de la Grande Guerre. Il note toutefois un arrêt de cet élan dans l’entre-deux guerres, qui reprendra seulement à partir des années 1950. Dans le cadre de la recherche partenariale, il a souligné l’intérêt de dépouiller le recensement de la ville de Montréal pour l’année 1921 afin de mieux cerner les vagues d’immigration française dans la première moitié du 20e siècle. Finalement, en ce qui a trait à la migration des Belges francophones vers la métropole, le codirecteur du Laboratoire mentionne que le dossier reste encore à construire puisque trop peu d’études ont abordé cette histoire ! Une équipe y consacrera son expertise dans le cadre de la subvention.

Sherry Olson, professeure émérite au Département de géographie de l’Université McGill et Jean-Claude Robert, professeur émérite du Département d’histoire de l’UQAM ont poursuivi en animant le second bilan « Migrations et territoire montréalais ». Avec cette séance, s’amorçaient des interventions plus ciblées où des chercheurs et chercheuses ont fait le point sur l’avancement de leurs propres travaux. Sherry Olson a abordé les défis de la comparaison d’échantillons sur la longue durée et de la mise en relation des échelles macro et micro. Les jeux de données tirées de sources compilées dans le cadre du projet MAP « Montréal, l’avenir du passé », un portrait de la ville de Montréal en 1881, qu’elle a codirigé avec l’historien Robert C.H. Sweeny, ont servi d’exemple afin d’animer les échanges. La géographe a conclu en suggérant que les projets sur les migrations francophones en Amérique devraient aussi inclurent les Antilles et les échanges migratoires avec le continent africain. Cela permettrait entre autres d’éclairer l’évolution d’un métissage francophone montréalais dans un plus large horizon. Selon Olson, le concept de « Métaspora », développé par l’écrivain haïtien Joël Des Rosiers, pourrait être mobilisé pour ce type d’analyse.

Jean-Claude Robert, a complété ce deuxième bilan en mettant entre autres de l’avant-plan l’importance des restructurations des paroisses pour l’analyse des migrations internes sur l’île de Montréal. Le spécialiste en études urbaines a rappelé que le développement des paroisses s’est effectué plutôt lentement jusqu’aux années 1860, période qui annonce leur « foisonnement ». Ainsi, la réticulation du territoire montréalais est fondamentale afin de comprendre les logiques d’établissement des franco-catholiques en zone urbaine et leur déplacement dans la ville. Le processus de découpage des paroisses montréalaises au 19e et au 20e siècle permet au final de mieux saisir les mouvements de populations au sein de ces structures d’accueil dans la ville.

La suite des interventions a été effectuée par des chercheurs et des collaborateurs du Partenariat rendant compte des différents chantiers qu’ils mènent et des objectifs visés pour les prochaines années.

Nicole Saint-Onge professeure d’histoire à l’Université d’Ottawa et Robert Englbert, professeur au Département d’histoire de l’Université de Saskatchewan, ont enchaîné avec la présentation « Montréal, centre de recrutement pour la traite des fourrures : la Base des engagements de voyageur ». Les deux spécialistes des migrations continentales dans le contexte du commerce de la fourrure en Amérique ont abordé la pertinence d’exploiter la base de données Voyageurs contracts Database. Consolidée à l’aide de plusieurs collaborateurs sur une période de 15 ans, elle permet d’identifier les contrats d’engagement notariés émis à partir de Montréal. Leur objectif est de répertorier les flux migratoires francophones, l’établissement de familles métis et, plus largement, de mieux saisir les circulations d’une « culture francophone » dans les réseaux d’échange établis lors des activités commerciales. Afin d’avoir des résultats probants, Saint-Onge et Englbert ont mentionné la pertinence de mettre en relations les données du projet « voyageurs » avec celles issues de la Digital Archive Database (DAD) de l’Université de St-Boniface. La DAD contient actuellement trois catégories de documents: les actes d’état civil protestants et catholiques (naissance, mariage, décès) de diverses missions entre Michilimackinac à l’est et Fort Edmonton à l’ouest, le recensement de la Rivière Rouge et du Manitoba ainsi que des actes notariés du commerce de la fourrure de l’ouest des montagnes Rocheuses.

L’avant-midi s’est conclu avec la présentation « Montréal, plaque tournante de la langue française ? », animée par les linguistes France Martineau, professeure à l’Université d’Ottawa et Win Remysen, professeur au Département des arts, langues et littératures à l’Université de Sherbrooke. Leur implication dans le projet sera principalement d’analyser les liens entres les mouvements géographiques des populations et les mutations du français. Ceci dans le but d’apparier l’histoire et la linguistique, notamment dans le cadre des mobilités sociales et des échanges linguistiques régionaux. Pour ce faire, Martineau et Remysen analyseront différents documents manuscrits se trouvant principalement dans les archives de correspondances de familles francophones et anglophones montréalaises. Enfin, ils chercheront aussi à mieux comprendre les impacts de la mobilité régionale vers la métropole dans le développement du français au sein des milieux populaires montréalais.

Hélène Vézina, professeure au département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi, a quant à elle discuté des apports de la démographie historique. Dans le cadre de sa présentation « Les données montréalaises dans les projets de reconstruction de la population historique du Québec », la professeure Vézina a annoncé que la contribution de son équipe passerait notamment par une étude des recensements de la population montréalaise. Ces données pourraient être intégrées selon le modèle de consultation de l’Infrastructure des microdonnées historiques de la population du Québec (IMPQ).  Il s’agit d’un vaste ensemble de données produites à partir des recensements historiques canadiens et des registres de l’état civil du Québec, consignées entre 1621 et 1914.

La rencontre s’est poursuivie en compagnie de Marc St-Hilaire, professeur au Département de géographie de l’Université Laval. Ce dernier a livré la communication « La place de Montréal au sein des réseaux matrimoniaux québécois ». Son apport au projet sera entre autres de se pencher sur les cas documentés d’exogamie au sein de la population montréalaise. Plus spécifiquement, le chercheur s’intéresse aux mariages avec un conjoint qui n’est pas de la même paroisse, ce qui permet de cerner des échanges migratoires, notamment avec les États-Unis et l’Ontario. Les facteurs d’émergence d’un peuplement à l’ouest et la croissance du réseau urbain des Prairies sont également des avenues stimulantes pour les recherches à venir. En somme, ces analyses permettront de mieux saisir les migrations francophones par-delà les frontières québécoises et d’insérer Montréal dans un réseau urbain continental qui conduit à des échanges culturels notables.

Danielle Gauvreau a également abordé les enjeux démographiques lors de sa présentation « Les Franco-Américains à Montréal ». La professeure au Département de sociologie et d’anthropologie de l’Université Concordia mène présentement une étude socio-démographique sur l’émigration canadienne-française aux États-Unis, en collaboration avec Marc Saint-Hilaire et Hélène Vézina. À l’aide de nouvelles sources disponibles au Canada comme aux États-Unis, Danielle Gauvreau et son équipe vont contribuer à documenter et à comprendre trois dimensions de cet important phénomène qui n’est pas sans impact sur la démographie francophone de Montréal et de la province. Tout d’abord, il s’agit de mieux saisir les conditions de départ des personnes ayant quitté le Québec et sa métropole, de comprendre les migrations de retour au pays, notamment dans le cas des jeunes adultes, ainsi que les enjeux d’intégration des francophones au sein de la population américaine.

En guise de conclusion de cette journée d’échange, Joanne Burgess et Yves Frenette, ont souligné la grande diversité des approches qui confirme le caractère interdisciplinaire du projet et le rôle carrefour de la métropole montréalaise dans l’étude des migrations francophones en Amérique du Nord. Sur le plan méthodologique, le bilan a permis de confirmer que le chantier est caractérisé pas des jeux d’échelle complexes où s’imbriquent la micro-analyse, et les enquêtes sociodémographiques plus englobantes. Tous les projets bénéficieront de l’accès à de riches bases de micro-données historiques. De plus, il sera pertinent lors des prochaines rencontres, d’aborder la mise en valeur des collections patrimoniales de partenaires tels que le Musée McCord et Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans la mobilisation des connaissances et la diffusion publique des résultats du projet.

Le Laboratoire est fier de s’associer à la réalisation de ce projet d’envergure et s’assurera d’en partager les avancées futures !