Spatialiser la commémoration : quand l’histoire rencontre la géographie

Par Julie Bérubé et Pascal Di Francesco, participants de l’École d’été Montréal numérique 2017

Au cours de l’École d’été Montréal numérique, qui s’est déroulée en août 2017 sous le thème « Commémoration, interactivité et visualisation », nous avons été amenés à cartographier des parcours historiques élaborés dans le cadre des célébrations entourant les 300e et 350e anniversaires de la fondation de Montréal. Cette entreprise s’est avérée être tout un défi puisque nous ne détenions que très peu d’expérience en géographie historique et encore moins avec un logiciel de cartographie. Nous souhaitons ici retracer les grandes étapes de l’exercice et partager quelques réflexions tirées de notre expérience dans le but de montrer que les systèmes d’information géographique (SIG) regorgent de potentiel pour les historiens, et ce, même pour les néophytes en la matière!

Les parcours historiques : un outil commémoratif privilégié
La commémoration est un acte collectif public visant à se souvenir du passé. Parmi les différentes pratiques de la commémoration, qui incluent notamment les reconstitutions historiques, les anniversaires de fondation et les constructions de monument, les parcours historiques occupent une place de choix. Qu’ils soient guidés par un individu en chair et en os, un document ou une application informatique, ces parcours sont le fruit d’une interprétation historique. Le choix même des lieux à visiter est un élément déterminant du discours sur le passé proposé aux participants. Les guides papier du Vieux Montréal produits en 1942 par Victor Morin, président de la Société d’archéologie et de numismatique de Montréal, et en 1992 par Héritage Montréal, un organisme sans but lucratif de protection du patrimoine, en sont un exemple probant. Tous deux proposent des circuits qui visent à mettre en valeur un ensemble de lieux historiques jugés dignes d’intérêt. De nombreux lieux reviennent d’un parcours à l’autre, dont les bâtiments associés à la politique municipale, la religion catholique et l’économie de marché, mais ceux-ci comptent également des lieux distincts. S’il est plutôt facile de repérer les lieux communs d’un guide à l’autre, les SIG se présentent comme l’outil idéal pour comparer les lieux distincts et dégager l’évolution des thématiques privilégiées par les acteurs de la commémoration.

Cartographier et interagir avec une masse de données
Bien que logiciel SIG QGIS soit libre d’accès et qu’il soit doté d’un code source ouvert, le premier contact avec cette application s’est avéré plutôt intimidant! Lors du dépouillement des sources écrites, les données se sont accumulées à un rythme effarant : dates de construction, années de rénovation, adresses et usages des bâtiments sont à l’ordre du jour. À ces informations se sont ajoutées les coordonnées géographiques que nous avons dû attribuer à chacun des lieux visités en vue de produire une carte finale. Petit hic, les guides consacraient certains arrêts à des vestiges du passé ou même à des bâtiments qui avaient complètement disparu et ne fournissaient pas suffisamment d’informations pour nous permettre de les situer avec précision. Heureusement, nous pouvions compter sur l’érudition des professeurs de l’École d’été pour nous fournir leur emplacement avec exactitude. Devant un tableau numérique bien garni, nous doutions parfois de la pertinence de notre démarche et de la cohérence de nos éventuels résultats. Nous avons néanmoins lancé la spatialisation des coordonnées géographiques dans QGIS et, avec quelques procédés d’étiquetage, nous avons obtenu une carte compréhensible et révélatrice. En outre, grâce à des astuces telles que l’affichage, en transparence, d’une carte de 1740 pour évoquer la trame urbaine et les berges de la ville préindustrielle, notre carte avait plutôt fière allure!

La visualisation, un instrument d’analyse
En plus de fournir une localisation des lieux d’intérêt proposés par les parcours historiques, la carte finale esquisse un portrait impressionniste de la distinction entre les thématiques abordées par les circuits de Victor Morin et d’Héritage Montréal. Dans le premier cas, l’accent mis sur les résidences disparues des personnages de l’élite coloniale française et sur les lieux à vocation religieuse révèle une passion pour la période précédant le Régime britannique. Dans le second cas, l’inclusion des gratte-ciels de la rue Saint-Jacques traduit une appréciation pour le patrimoine bâti et l’architecture du début du XXe siècle alors que la prise en considération du site de la Pointe-à-Callière et du Parlement de la province du Canada annonce la montée de l’intérêt pour les méthodes de l’archéologie. Ces découvertes peuvent être comprises à la lumière des régimes d’historicité qui traversent les deux époques. Entre le roman national, une sensibilité au patrimoine immobilier et l’étude fine des conditions de vie matérielles, la valorisation de thématiques spécifiques par les parcours historiques montre que les pratiques de la commémoration reflètent l’époque dans laquelle elles se manifestent, à l’instar des objets de recherche des disciplines en perpétuelle redéfinition que sont l’histoire, l’architecture et l’urbanisme.