Par Mélissa Benjamin, adjointe de recherche pour le projet Parcours riverain
Dans le cadre de mon mandat d’adjointe de recherche pour le projet Parcours riverain, mené par la Division du patrimoine de la Ville de Montréal en collaboration avec le Laboratoire, j’ai eu la chance d’avoir accès à des documents inédits sur plusieurs lieux montréalais d’intérêt patrimonial. L’un d’eux a tout particulièrement suscité mon intérêt. J’aimerais ici partager quelques informations sur un haut lieu de l’histoire industrielle du Canada: le parc archéologique Pointe-des-Seigneurs.
Situé dans l’arrondissement du Sud-Ouest, le parc Pointe-des-Seigneurs est le seul parc archéologique de la métropole et il demeure, à ce jour, relativement peu connu des Montréalais. En 2001, des fouilles archéologiques y débutent. À ce moment, la végétation recouvre les quelques ruines toujours visibles car le site est abandonné depuis la destruction du bâtiment Hall Engineering en 1986. Les fouilles menées sur le site ont révélé de véritables trésors: s’y trouvaient notamment un réseau hydraulique, des bâtiments industriels et la maison de l’éclusier. Le site est aussi impressionnant pour l’état de conservation des vestiges et des artéfacts qui s’y retrouvent.
Les fouilles visent à allier la recherche archéologique à la diffusion des connaissances sur le lieu auprès d’un large public. Plusieurs activités de mise en valeur du parc sont organisées et sont couronnées de succès. Néanmoins, en dépit de son intérêt indéniable, à ce jour, le site demeure inaccessible. Cela n’empêche toutefois pas l’idéation de projets d’aménagement, telle que la proposition de l’agence Relief Design (2017).
Le réseau hydraulique
Un des éléments les plus importants mis au jour par les fouilles est le réseau hydraulique de la compagnie St. Gabriel Hydraulic. Construit vers 1851, il est le squelette de l’organisation spatiale de Pointe-des-Seigneurs. Pour les entreprises qui s’y installent, c’est le réseau vital qui transporte l’eau et produit l’énergie nécessaire au fonctionnement des machines. Les archéologues ont trouvé plusieurs composantes du réseau en très bon état. L’incendie majeur de la minoterie Ogilvie en 1874 et le deuxième élargissement du canal vers 1875 ont permis d’effectuer des travaux d’importance sur le système hydraulique de la pointe. À ce moment, le premier canal (1825) et ses petites écluses sont transformés en déversoir régulateur. La partie visible du mur de ce déversoir, qui mesure environ 23 m, se situe entre la piste cyclable et les écluses.
La maison de l’éclusier
Construite en 1825, la maison de l’éclusier est amputée de sa partie sud en 1877 pour bâtir le mur de revêtement nord du déversoir régulateur. Lors des fouilles de 2001, les traces des fondations, de son plancher en bois, de tuiles d’ardoise et de clous tréfilés (ce type de clou n’apparait qu’à partir de 1850, sa présence est donc signe de réparations) y sont repérés. Une quantité impressionnante d’artéfacts se situe dans l’annexe en bois de la maison. Plusieurs objets découverts témoignent de la vie quotidienne de l’éclusier et de sa famille ainsi que sur les liens existant entre l’éclusier et l’équipage de bateaux.
Les entreprises
À l’apogée de sa densité, sept entreprises occupent le petit territoire qui correspond à l’actuel parc Pointe-des-Seigneurs. La première à s’y installer est l’imposante Glenora Mills, une des plus importantes minoteries au Canada ainsi que la plus grande consommatrice d’énergie de la pointe. Les fouilles permettent de mieux comprendre l’utilisation du système hydraulique qui s’insère sous les bâtiments de l’entreprise. Vers 1853, au nord-est de la pointe, une fabrique de limes et d’instruments aratoires s’établit. Cette manufacture, qui a probablement brûlé au même moment que la minoterie Glenora Mills en 1874, a laissé place à une chapellerie vers 1879. Dans les vestiges de cette dernière, une étrange trouvaille: des sceaux en plomb identifiant des ballots de feuilles de sumac broyées provenant de commerçants de Sicile. Pourquoi ce produit italien dans une chapellerie du canal Lachine? La réponse dans le livre Lumières sous la ville: quand l’archéologie raconte Montréal. Le dernier bâtiment présent sur la pointe est celui occupé par l’entreprise Hall Engineering de 1907 à 1986. À l’emplacement du bâtiment aujourd’hui disparu, une dalle de béton est toujours bien visible.
Il m’est impossible de résumer l’ensemble des belles découvertes archéologiques et des histoires qui leur sont reliées. J’espère cependant vous avoir donné l’envie d’en savoir plus (car il y a plus!). Pour approfondir le sujet, je vous encourage à lire ces quelques études qui ont également été mes sources principales.
Pour en savoir plus :
-Anne-Marie Balac, François C. Bélanger, avec la collaboration d’Éric Chalifoux, Lumières sous la ville: quand l’archéologie raconte Montréal, éd. Recherches amérindiennes au Québec, Montréal, 2016
-SACL, François C. Bélanger, Christian Roy, Un paysage industriel unique : fouille archéologique au site de Pointe-des-Seigneurs, BiFj-69, Montréal, 2002 : canal de Lachine, éd. Ville de Montréal, 2009, col. Patrimoine archéologique de Montréal; no 34
-SACL, Marie-Thérèse Bournival et Claire Mousseau, Un Paysage à lire, un paysage à venir., Le parc archéologique de Pointe-des-Seigneurs, Programme de recherches et de mise en valeur, Ville de Monréal, (équipe Patrimoine archéologique) mars 2003, (inédit)